Pages d’histoire.
À propos de la leçon

Joseph Kasa-Vubu et Patrice-Emery Lumumba se limogent réciproquement.

1. A la suite de pressions extérieures, en particulier américaines et, surtout, belges, le président Kasa-Vubu est conduit à démettre le Premier ministre Patrice Lumumba. Le Chef de l’Etat vient en personne annoncer la nouvelle à la population à l’antenne de la Radio Nationale à 20h ce 5 septembre1960. une heure après le passage du Président de la République, c’est le Premier ministre qui vient à la même radio annoncer, qu’à son tour, il démet le chef de l’Etat Kasa-Vubu.

La population congolaise est dans la confusion. Kasa-Vubu et Lumumba avaient ils le droit de se limoger mutuellement ?

La validité de deux actes

Sur le plan juridique, le Président Kasa-Vubu avait le pouvoir de révoquer le Premier ministre conformément à l’article 22 de la loi fondamentale (loi adoptée par le parlement belge, qui nous servait de Constitution provisoire). Mais son ordonnance du 5 septembre 1960 portant révocation du Premier ministre était illégale parce que non contresignée par un membre du gouvernement.

En effet, étant donné que la loi fondamentale de 1960, comme l’actuelle constitution de la RDC, rendait le Président de la république irresponsable devant le parlement (le parlement ne pouvait pas demander des comptes au Président de la République), on a décidé, dans la loi fondamentale, que la majorité des actes du chef de l’Etat doivent être contresignés, pour être valables, par un ou plusieurs membres du gouvernement qui endosserait la responsabilité politique de l’acte devant le parlement. Donc l’ordonnance du 5 septembre n’ayant pas de contreseing, n’était pas valable.

Le Président Kasa-Vubu va corriger cette erreur en obtenant le 6 septembre 1960 les contreseings de deux membres du gouvernement Lumumba : Justin-Marie Bomboko et Albert Delvaux (qui deviendra plus tard Mafuta Kizola).

La majorité parlementaire ne donne pas tous les droits

Quant au Premier ministre Lumumba, sur le plan juridique, il n’avait aucun pouvoir de démettre le Chef de l’Etat. Mais Lumumba s’imaginait que, puisque c’est lui qui a fait élire au parlement Kasa-Vubu comme Président de la République, il avait le pouvoir de le démettre.

En effet, c’est grâce aux voix des députés Lumumbistes (70/137; MNC-Lumumba: 41 ; PSA Gizenga 13 ; CEREA Kashamura: 10 ; Balubakat Sendwe: 6. . . ) que Kasa-vubu est élu président de la République. Ce qui aurait été impossible avec seulement les 12 députés nationaux de l’ABAKO.

Malheureusement pour Lumumba le fait d’avoir fait élire Kasa-Vubu Président de la république et de disposer d’une majorité confortable au parlement ne lui donnait pas le pouvoir de démettre le chef de l’Etat.

Les Nations-Unies prennent le contrôle de la radio nationale mais la situation dégénère

Pour mettre un terme aux messages contradictoires adressés à la population par les deux leaders congolais, l’ONUC (opération des Nations-Unies au Congo) va prendre le contrôle de la radio nationale. Mais la crise persiste.

Dans son ordonnance du 5 septembre, le Président Kasa-Vubu a aussi nommé un nouveau Premier ministre en la personne de Joseph Ileo, le président du Sénat. Le 6 septembre un mandat d’amener est lancé contre Patrice Lumumba, que ce dernier ignore royalement. Le 11 septembre, au cours d’une de ses réunions de sensibilisation de la population, Patrice Lumumba est arrêté par des militaires. Aussitôt, le général Victor Lundula, Commandant en chef de l’ANC (Armée Nationale Congolaise) et chef hiérarchique du Colonel Mobutu, intervient et fait libérer Lumumba.

Le président Kasa-Vubu nomme Joseph Mobutu et Victor Nendaka

Le 12 septembre 1960, le président Kasa-Vubu, mécontent du comportement du général Lundula, le limoge de la tête de l’Armée et nomme le colonel Joseph Mobutu, qui était jusque-là chef d’Etat-major général, Commandant en Chef faisant fonction (intérimaire). Le même jour, Christophe Muzungu, un proche de Lumumba, qui était le numéro un de la sureté nationale (ANR actuelle) est révoqué par le Président Kasa-Vubu et remplacé par Victor Nendaka.

Le général Lundula se mutine à Kisangani

Le général Lundula, qui considère que sa révocation est illégale, arrive à Stanleyville le 8 novembre 1960 où il prend le commandement du 3e groupement militaire (région Militaire). Il va entrer en rébellion contre le pouvoir de Kinshasa. L’histoire étant un éternel recommencement, cet épisode va se reproduire en 1998. En effet le 2 août de cette année-là, les meilleures unités militaires de sa nouvelle armée FAC (Force Armée Congo) que le Président Laurent-Désiré Kabila avait déployé à l’Est du pays (Sud-Kivu, Nord-Kivu, Ituri) entrent en rébellion contre lui. Avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda. Pour gérer cette mutinerie, une structure politique est crée ; le Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD). Nous y reviendrons dans une autre page d’histoire.

Les parlementaires annulent les décisions de révocation mutuelle et tentent une réconciliation

Réunis en congrès, les députés nationaux et les sénateurs décident d’annuler les deux décisions de révocation mutuelle et mettent en place une commission compromissoire des sages, composée d’Okito, Kasongo et Wevegemere. Elle est chargée de réconcilier les deux leaders en conflits: Kasa-Vubu et Lumumba. Quelques fonctionnaires des Nations-Unies, le président du Ghana Kwamé Nkrumah, le grand intellectuel Frantz Fanon, vont encourager cette initiative. Mais l’ambassadeur américain de Léopoldville et quelques autorités belges vont s’opposer catégoriquement à cette réconciliation, en menaçant le Président Kasa-Vubu de lui retirer leurs soutiens.

Lumumba obtient du Parlement congolais les pleins pouvoirs qu’il avait sollicité.

Le 13 septembre 1960, le Premier ministre Lumumba obtient du parlement les pleins pouvoirs qu’il avait sollicité. Donc, pour le parlement congolais, Lumumba est toujours le Premier ministre en fonction, malgré la nomination de Joseph Ileo comme Premier ministre par le Président Kasa-Vubu.

Le Président Kasa-Vubu va réagir face à cette situation le 14 septembre 1960, en annulant les pleins pouvoirs accordés la veille par le parlement au Premier ministre Lumumba et en décidant de fermer les deux chambres du parlement congolais (Senat et Assemblée Nationale).

Le colonel Joseph Mobutu ” neutralise ” les institutions politiques

Le même jour, le nouveau commandant en chef intérimaire de l’ANC, le jeune colonel Joseph Mobutu (il a 30 ans en 1960), en vue de mettre un terme à cette confusion au sommet de l’Etat, proclame à 20h30’ « la neutralisation des institutions politiques » et il interdit au Président Kasa-Vubu, à Patrice Lumumba, à Joseph Ileo et au parlement toute initiative et toute activité. C’est son premier coup d’Etat.

Le gouvernement des commissaires généraux

Le Colonel Mobutu met en place un gouvernement des jeunes universitaires dénommé collège des commissaires généraux avec Justin-Marie Bomboko le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Lumumba comme premier ministre (Président du collège). Pour certains commissaires généraux, c’est le début d’une longue et brillante carrière politique ; Marcel Lihau à la Justice avec comme adjoint Etienne Tshisekedi, Albert Ndele aux finances, Mario Cardoso (Losembe) à l’éducation nationale ; Jonas Mukamba au Travail ; André Boboliko et Henri Takizala étaient aussi des commissaires généraux adjoints.

Un coup d’État bizarre

Mais ce coup d’Etat du Colonel Mobutu du 14 septembre 1960 était très bizarre. Par exemple, la cérémonie de prise de fonction des membres du collège des commissaires généraux se fera devant le Président de la République Joseph Kasa-Vubu alors qu’il était sensé avoir été neutralisé avec Patrice Lumumba. Le Colonel Mobutu lui-même se plaindra de cette situation : « Kasa-vubu n’avait pas à organiser cette cérémonie, car j’ai déjà installé les universitaires dans leurs fonctions ».

En réalité, cette opération était une mascarade ayant pour objectif de neutraliser Patrice Lumumba. Comment ce dernier et les autres nationalistes (Gizenga, Gbenye, Mulele. . . ) vont réagir face à cette situation ?

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